Sans idée précise sur la manière dont il comptait occuper les dernières heures de cette intense journée d’entraînement, Lance se laissa mollement retomber sur un rocher proche et se mit à observer les vagues s’écraser sur la berge d’un air absent. Il demeura ainsi immobile de longues minutes, sans vraiment penser à rien de particulier, se laissant simplement transporter par les embruns marins venant lui chatouiller les narines.

Sa torpeur s’étira un long moment avant qu’il ne se décide enfin à bouger. Machinalement, il attrapa son sac qui traînait à ses pieds et l’ouvrit d’un geste, et commença à en fouiller le contenu à la recherche de nourriture, son dernier repas remontant au matin. Ses doigts entrèrent alors en contact avec un objet rectangulaire relativement léger, qui éveilla aussitôt son attention. Il l’extirpa sans attendre et examina sa trouvaille, qu’il tourna et retourna à plusieurs reprises à l’aide de son unique main valide.

Il s’agissait d’un simple carnet à la couverture noire relativement flexible, pouvant aussi bien officier de calepin que de journal intime. Sans un mot, Lance l’ouvrit et en parcourut rapidement les premières pages, toutes griffonnées de notes, de schémas et de symboles en tous sens, empiétant parfois même sur les marges. Il les fit défiler jusqu’à arriver à une double page blanche, marquant la fin de sa prise de notes.

Il fixa le cahier durant quelques instants, le regard vite, et s’apprêta à le refermer lorsqu’un détail d’une conversation récente lui revint subitement en tête. Une voix à la fois douce et agaçante qui ne cessait de lui répéter qu’il devrait faire carrière dans le journalisme. Quelle idée saugrenue… n’est-ce pas ?

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Après de longues minutes à fixer son carnet avec de grands yeux, Lance, lentement, fouilla machinalement le contenu de son sac une nouvelle fois et en extirpa un stylo noir à pointe épaisse, qu’il vint déposer en haut de la première page blanche disponible. Il ne put cependant se résigner à écrire la moindre lettre et demeura ainsi immobile durant un long moment, le visage figé.

Il n’avait pas la moindre idée de ce qu’il était supposé faire, ou tout du moins, d’un sujet dont il pouvait bien parler. Et puis, comment l’exprimer par écrit ? Comment le rendre intéressant ? Devait-il parler de quelque chose de personnel pour commencer ? Ou donner son avis sur un thème banal de la vie quotidienne ? Toutes ces questions, et bien plus encore, ne cessaient d’aller et venir dans sa boîte crânienne, si bien qu’elles finirent par embrumer totalement son esprit.

L'agacement le gagna rapidement, et excédé, il finit par refermer sèchement son carnet et le jeta à ses côtés d’un air blasé. C’était une idée stupide, après tout. Journaliste… comment pouvait-il ne serait-ce qu’envisager de suivre une telle voie ? Pour se mettre à la botte de types qui lui demanderaient de déformer la vérité ou de mener l’enquête sur des sujets inintéressants ? Eh bien, Il cédait volontiers sa place à quelqu’un d’autre. Il préférait de loin sa liberté et sa tranquillité à une nouvelle vie de mensonges, et surtout d’ennui.

Lance se leva et s’étira en levant son unique bras encore en état de marche, puis contempla sans un mot le littoral qui s’étendait sous ses yeux et avalait petit à petit le soleil rougeoyant qui s’effaçait chaque seconde encore un peu plus à l’horizon. Il était plus que temps d’en finir avec cette journée.

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La nuit tomba rapidement et Lance se hâta de se réfugier à son habituel abri près de la Centrale. Il déplia son sac de couchage et s’y glissa aussitôt, et ne bougea plus d’un pouce. Une main derrière la tête, il se contenta d’observer en silence les innombrables étoiles qui scintillaient bien loin au-dessus de lui.  Sous son épaisse chevelure argentée, le Dresseur ne pensait à rien. Il se contenta simplement de se laisser transporter par ces quelques minutes durant lesquelles il se sentait épris d’un indescriptible sentiment d’évasion et d’infinie liberté.

Il ferma les yeux un bref instant et prit une longue et profonde inspiration. Si seulement ce moment pouvait ne jamais prendre fin… sa tête bascula lentement sur le côté. Lorsqu’il rouvrit les yeux, il se retrouva nez-à-nez avec son sac de voyage qui lui bloqua la vue sur la mer. Il s’apprêta à l’écarter d’un geste négligent mais s’arrêta en plein mouvement, sans raison apparente.

Malgré son expression neutre, il était presque possible d’entrevoir les rouages de son cerveau s’imbriquer les uns à la suite des autres au cours de sa longue et intense réflexion. Avec la plus grande hésitation, il finit alors par tirer son sac vers lui et en sortit le fameux journal noir qui n’avait jamais véritablement quitté le fond de ses pensées. Il l’ouvrit et en feuilleta fébrilement les pages, et s’arrêta à l’endroit exact où il l’avait laissé un peu plus tôt. Il récupéra un stylo en fouillant à tâtons le contenu de son sac, mais ne put se résigner à en poser la pointe sur son carnet, laissant son bras en suspens dans l’air.

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À force de rester en l’air, la main de Lance se mit à trembler avec une intensité grandissante. Sa réluctance était en majeure partie liée à son dégoût de se rabaisser à une telle activité, qu’il jugeait aussi ingrate qu’indigne… et pourtant, le voilà qu’il était étalé de tout son long, à essayer vainement d’aligner plus de deux mots sur un fichu morceau de papier.

Tout ceci était sa faute. C’était elle qui lui avait mis cette idée dans la tête. Et par-dessus le marché, s’il n’essayait pas d’y mettre un peu du sien, elle risquait encore de le lui reprocher, ce qui lui donnerait une excuse pour se dédouaner de ses responsabilités. Mais pire encore, il peinait difficilement à admettre que cette peste pouvait bien avoir raison à son sujet. Et s’il possédait véritablement un don pour l’écriture ?

Mais c’était pourtant tellement stupide. Même s’il était doué pour ce genre de choses, il ne voyait pas qui pouvait bien être intéressé par ce qu’il avait à raconter. D’ailleurs, cela n’avait jamais été le cas, et c’était bien la raison pour laquelle il avait toujours été. Tout du moins, jusqu’à ce qu’il la rencontre…

Lance se ressaisit subitement et sentit une bouffée de colère monter en lui. Qu'est-ce qui lui prenait, à la fin ? D’un geste sec et rageur, il referma son journal et le jeta au loin de toutes ses forces. Il se laissa alors retomber sur sa couchette et se tourna sur le côté d’un air furieux, les dents serrées et le regard flamboyant. Quelle perte de temps.

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La nuit ne fut pas de tout repos pour Lance. Bien qu’habitué à ne se reposer qu’une poignée d’heures, il éprouva de grandes difficultés à fermer l’œil plus de quelques minutes, n’ayant de cesse de tourner et retourner en boucle ses doutes et ses interrogations dans sa tête.

Lorsqu’il finit par se lever aux premières lueurs du jour, le Dresseur arborait de petits yeux et une mine maussade. D’humeur massacrante, il ramassa ses affaires à la hâte et prit la direction du rivage, non sans jeter d’abord un regard assassin au journal noir qui gisait un peu plus loin.

Face à la mer, il se laissa porter quelques instants par la brise matinale et par les embruns marins qui vinrent lui chatouiller les narines. Sa cape noire flottait derrière lui au gré du vent, mais son expression glaciale venait briser toute comparaison possible avec un super-héros. Il n’était qu’un homme, et il n’avait jamais été rien de plus qu’un misérable être humain voué à ramper comme tous les autres. La seule différence était qu’il avait choisi de le faire seul, et de ne pas suivre le mouvement imposé par la société. Il n’en avait simplement pris conscience que bien trop tard.

Après avoir pris une dernière longue et profonde inspiration, le jeune homme décrocha lentement ses Poké Balls de sa ceinture et fit sortir un à un ses compagnons de route. Dans des éclats de lumière blanche aveuglante, ces derniers mirent pied à terre en se regardant les uns les autres en silence. Chacun d’eux connaissait parfaitement la raison de leur présence, et n’attendait plus que les instructions de leur maître.

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Durant les jours qui suivirent, Lance décida de se concentrer essentiellement sur l’entraînement de ses Pokémon et s’efforça de mettre de côté ses autres préoccupations afin de rester pleinement concentré sur cette tâche essentielle à la progression de ses compagnons. Son fameux journal était désormais rangé hors de sa vue au fond de son sac, sous une épaisse pile de vêtements, là où il pourrait sans difficulté résister à la tentation de le récupérer.

La saison des neiges approchait à grands pas. Le froid morbide qui s’était soudainement abattu au cours des derniers jours annonçait une fois de plus un hiver long et rude. Mais le Dresseur n’y voyait là qu’une opportunité pour ses Pokémon de s’adapter à des conditions climatiques aussi extrêmes, renforçant ainsi leurs capacités physiques et leur permettant de se forger un mental d’acier. Vêtu de son épaisse cape noire pour se protéger des intempéries, Lance hélait avec vigueur ses instructions à ses Pokémon par-dessus le hurlement du vent qui les gelait sur place. Hormis Dracaufeu qui rechignait parfois à la tâche — ce que Lance soupçonnait d’ailleurs être une tentative d’attirer l’attention —, tous travaillaient en silence, mais avec le plus grand sérieux afin de s’améliorer toujours encore un peu plus, jour après jour.

L’intense effort fourni durant leurs séances les vidait totalement de leurs forces, si bien qu’ils s’écroulaient rapidement de fatigue en fin de journée, et tombaient dans un sommeil profond dès la nuit tombée. Un bon moyen pour le jeune homme d’oublier un temps ses tourments.

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Après plusieurs semaines passées à s’entraîner sans relâche sur les berges de la Centrale, Lance décida d’accorder un jour de repos collectif à l’ensemble de son équipe, une annonce qui fut accueillie par des grognements de plaisir et de soulagement par ses compagnons. Tandis que ces derniers se reposaient bien au chaud dans leurs Poké Balls, le Dresseur se décida à rejoindre la Centrale où il avait l’intention de passer la journée à l’abri des intempéries.

Une fois à l’intérieur, il navigua silencieusement à travers les longs couloirs de la bâtisse, passant de temps à autre devant une série de machines aux vrombissements infernaux qui menacèrent de lui briser les tympans. Il finit par pénétrer dans la première salle libre qu’il put trouver, et qui ressemblait vaguement à un bureau aménagé à la va-vite où trônait une simple table parsemée de quelques dossiers empilés les uns sur les autres.

Le jeune homme alluma l’éclairage et ferma la porte derrière lui, puis inspecta brièvement les lieux avant de prendre place derrière le modeste bureau. Ce fut le moment que choisit son Pokématos pour se mettre en alerte. De son habituel regard blasé, Lance extirpa l’appareil de sa poche et consulta la notification qu’il venait de recevoir.

Il s’agissait d’un message d’information lui signalant que la Foire d’Argenta venait de rouvrir ses portes durant la période des fêtes. Lance se contenta cependant de hausser les épaules ; il n’avait nullement l’intention de participer à un tel événement. Pas cette fois, du moins. L’évocation de la foire n’était cependant pas sans lui rappeler de nombreux souvenirs, bons comme mauvais, et il se surprit même à se remémorer d’un air presque rêveur les nombreuses péripéties qu’il avait pu vivre au cours de cette célébration annuelle…

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Mais Lance n’était pas venu se réfugier dans l’enceinte bruyante de la Centrale pour profiter d’une pause nostalgie. Cela faisait des semaines qu’il s’efforçait de repousser ce moment, qu’il faisait mine de l’ignorer, mais, il le savait, la confrontation était inévitable, et la fuir ne ferait que repousser l’inéluctable échéance.

Sans plus tarder, il ouvrit son sac et y plongea sa main encore récemment estropiée — il était parvenu à se débarrasser de force de son plâtre la veille sans le moindre scrupule. Sans surprise, il en ressortit le journal noir qui l’avait tant irrité au cours des dernières semaines, et le déposa délicatement devant lui. Cette fois-ci, cependant, l’homme aux cheveux d’argent avait l’air parfaitement calme, et, contrairement aux tentatives précédentes avortées, donnait l’impression de savoir exactement ce qu’il faisait.

Il se saisit du stylo faisant office de marque-page, et toujours dans la plus grande sérénité, commença à écrire d’un rythme lent, mais régulier. Chacune de ses lettres était élégamment calligraphiée et formait des boucles parfaites, un talent hérité de son éducation aristocrate. Durant une vingtaine de minutes, seul le bruit de ses notes griffonnées sur le papier résonna dans l’étroite pièce aux allures de placard à balai.

Lorsqu’il eut enfin terminé, il posa son stylo et s’étira, avant de refermer son carnet sans même jeter un œil à son ouvrage. Il l’avait enfin fait. Bien entendu, il ne s’agissait que d’un premier jet relatant sa propre vision des choses à un instant T, et qui de ce fait n’avait pas pour but d’être partagé avec qui que ce soit. Mais au moins, le premier pas était désormais franchi.

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Lance rangea lentement ses affaires et se laisser aller contre le dossier de sa chaise d’un air las. Il jeta un vague coup d’œil autour de lui et posa son regard sur les quelques détails intéressants de la pièce dans laquelle il se trouvait, telle que l’étagère où reposaient de drôles de machines ressemblant à des émetteurs ou à d’énormes batteries, ou encore l’unique luminaire qui scintillait à intervalles réguliers au-dessus de sa tête, dû à un défaut technique.

Le Dresseur baissa la tête sur le bureau derrière lequel il était assis et où trônait une pile d’ouvrages poussiéreux dont les intitulés à eux seuls présageaient une migraine à toute personne suffisamment courageuse pour y plonger le nez. Nombre d’entre eux étaient des manuels d’utilisation visant à entretenir les machines permettant le bon fonctionnement de la Centrale. Enfin, juste devant Lance, le Pokématos de ce dernier reposait sur l’un des épais volumes.

Sans idée précise en tête, il se saisit de l’appareil et l’alluma, puis navigua machinalement à travers ses nombreuses fonctionnalités. Il retrouva sans le vouloir le chemin des actualités du jour, où de nombreux reportages sur la récente conférence de N pullulaient sur la toile. Lance lança au hasard l’un d’eux et fit glisser le curseur sur la barre de progression pour survoler plus rapidement les moments les plus intéressants.

À vrai dire, ce n’était pas un évènement pour lequel il portait un intérêt particulier, et n’accordait aucune valeur ni jugement aux arguments du PETP, comme à ceux de leurs opposants. Pour lui, il ne s’agissait que d’un affrontement vain et stupide et dont il ne tirerait aucun bénéfice à prendre parti, et dont l’issue finale lui importait bien peu.

Il réprima un bâillement et s’apprêta à arrêter la vidéo lorsqu’une tête blonde familière apparut à l’écran. Son doigt dérapa violemment, faisant avancer d’un bond l’enregistrement qui montrait désormais en gros plan le visage de N.

▬ Merde ! Où est-ce que c’était, déjà… ?!

Le rythme cardiaque du jeune homme s’intensifia aussitôt. Était-ce bien…

Il s’empressa de revenir en arrière, pressant l’écran de son Pokématos avec tant de force que les pixels en perdaient leur luminosité à certains endroits. Lorsqu’il finit enfin par retrouver le fameux passage, il ne put s’empêcher d’entrouvrir la bouche, un air ahuri imprégné sur son visage.

Il contempla durant quelques secondes l’image arrêtée de Bonnie, sans un mot. Qu’avait-il bien pu lui passer par la tête ? À son tour, le regard de Lance se figea, puis se durcit. Toujours dans le plus grand des silences, il tapota alors un bref instant sur son Pokématos avant de le porter à son oreille.

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La sonnerie retentit une fois, deux fois, trois fois. Impassible, Lance attendit que la personne au bout du fil décroche, fixant le mur face à lui sans broncher. Une voix de jeune femme s’éleva enfin après plusieurs secondes d’attente ; ou plutôt, un hurlement hystérique.

▬ LAAAANCE ?! LANCE C’EST TOI ?!

Il s’y était préparé et avait légèrement écarté l’appareil de son oreille. Il ferma les yeux un bref instant, résigné, puis répondit :

▬ Oui. Comment se déroule ton voyage ?

Il préféra ne pas rentrer dans le vif du sujet dès le début, ne voulant pas provoquer une nouvelle confrontation. Ce n’était pas l’objectif recherché, après tout.

▬ MON VOYAGE ? BAH BIEN ! J'ÉTAIS JUSTEMENT EN TRAIN DE FAIRE UNE PAUSE ! ON S’EST ENTRAÎNÉS TOUTE L'APRÈS-MIDI ! D’AILLEURS, J’APPLIQUE TES CONSEILS ET… ÇA SE VOIT !

Pour confirmer ses dires, Lance put distinguer des cris de Pokémon en fond sonore. Il poussa alors discrètement un profond soupir. Au moins, il ne lui était rien arrivé. Du moins, pas encore.

▬ AU FAIT, TA MAIN ? ÇA VA ? ÇA SE REMET ?!

▬ Ma main ?

Il baissa les yeux vers son bras complètement guéri et duquel il avait arraché le plâtre la veille sans la moindre hésitation.

▬ Petit à petit, oui. Je ne sais pas combien de temps je garderai le bras en écharpe, mais ça s’améliore.

▬ D’ACCORD, TANT MIEUX ! ET NE RECOMMENCE PAS, SURTOUT ! Raaah, tsss. Pousse-toi, Pikk ! JE SUIS ÉTONNÉE QUE T’APPELLES LANCE, SURTOUT APRÈS TON DÉPART SANS… PRÉVENIR, JE DIRAIS !

Le Dresseur cligna brièvement des yeux. Elle venait de lui offrir la parfaite opportunité de mettre le sujet sur la table.

▬ En parlant de mon départ, je voulais justement savoir comment s’était passé ton séjour à Azuria après que je sois parti.

▬ MON SÉJOUR À AZ… OH ! COMMENT TU SAIS QUE J’ÉTAIS LA-BAS ? TU Y ÉTAIS ?!

Le jeune homme éclata d’un rire sans joie.

▬ Tout le monde peut le savoir, voyons. Tu as participé à la conférence de N, n’est-ce pas ?

Un silence pesant s’installa. Lance se demanda si Bonnie était simplement surprise par sa révélation, ou si elle comprenait que cela impliquait quelque chose de bien plus important.

▬ COMMENT ÇA, « TOUT LE MONDE » ? JE SUIS ARRIVÉE VERS LA FIN DE LA CONFÉRENCE, JE DEVAIS PASSER PAR LÀ POUR MA MISSION !

▬ La conférence était filmée. Tu es passée à la télévision. Mais pire encore, on peut facilement retrouver des rediffusions de l’évènement un peu partout en ligne.

▬ EN « QUOI » ? JE COMPRENDS RIEN DE CE QUE TU ME DIS !

Lance put déceler de l’agacement dans la voix de Bonnie. Celle-ci s’était mise à parler plus vite et plus fort, mal à l’aise avec les termes utilisés par le Dresseur. Mais ce dernier commença lui aussi à s’impatienter.

▬ En résumé, ta tête a été diffusée sur tous les postes de télévision de la région. C’est un peu plus clair pour toi ?

▬ … COMME LA FOIS OÙ TU AS COMBATTU CONTRE LA LIGUE ?!

Malgré ses beuglements persistants, Lance devina que sa dernière question s’adressait plus à elle-même qu’à lui. Elle se tut à nouveau, mais il put entendre sa respiration s’accélérer à l’autre bout du fil, et même percevoir qu’elle faisait les cent pas d’après le rythme de sa marche.

Implacable, l’homme aux cheveux d’argent reprit d’une voix glaciale :

▬ Tu te rends compte de ce que cela implique ?

▬ Que j’ai été vue là-bas… répondit-elle faiblement, se parlant toujours à elle-même. Alors que je ne devrais pas… non… enfin… ils ne m’ont pas vue… je pense pas… non… LANCE ! TU CROIS QU’ILS M’ONT VUE ?!

Les lèvres de ce dernier s’étirèrent en un sourire dépité.

▬ Je n’en sais rien. C’est difficilement passé inaperçu, en tout cas.

Il s’interrompit un bref instant, réfléchissant à toute vitesse, tandis qu’il l’entendit grommeler et se qualifier d’idiote.

▬ Où te trouves-tu actuellement ?

▬ SUR LA ROUTE 6, LÀ OÙ ON S’ENTRAÎNAIT !

Lance plaça une main devant ses yeux et hocha la tête. Comme il s’en était douté, elle n’avait toujours pas quitté la zone.

▬ Tu dois t’éloigner le plus loin possible d’Azuria. Et vite.

▬ QUOI ?! MAIS NON ! J’AI MA MISSION A ACCOMPLIR ! JE PEUX PAS ! JE M’ENTRAÎNE POUR ÇA, JUSTEMENT !

Irrité par la candeur nocive de Bonnie, le Dresseur éleva le ton à son tour.

▬ Écoute-moi bien, si ces types t’ont effectivement vu à la télévision, la première chose qu’ils feront, c’est se lancer à ta recherche en commençant par Azuria et ses alentours. Et devine où tu te trouves justement, là, tout de suite ?

Pour toute réponse, la respiration de Bonnie se fit un peu plus intense encore ; la panique commençait sans doute à la gagner, ce qui ne constituait pas forcément une mauvaise chose car elle semblait enfin prendre conscience de la gravité de la situation. Lance se leva et quitta la pièce dans laquelle il se trouvait, puis prit le chemin de la sortie de la Centrale d’un pas hâtif.

▬ Je viens te chercher.

▬ QUOI ?! NON, ATTENDS, T’ES OÙ TOI ?!

▬ À Azuria également, par chance. Cela ne me prendra que quelques minutes pour te rejoindre.

Il y eut un nouveau silence. Lance n’avait aucune idée de ce à quoi Bonnie pouvait bien penser, mais il n’y avait désormais plus de temps pour cela. Cependant, au moment où il s'y attendait le moins, un nouveau rugissement émergea du combiné et manqua de lui déchirer les tympans.

▬ HORS DE QUESTION !

Lance écarta rapidement son Pokématos et maugréa à voix basse, mais replaça bien vite l’appareil au creux de son oreille avant de répondre d’un ton excédé :

▬ On n’a pas le temps pour tes caprices !

▬ ALORS ARRÊTE LES TIENS ! PAR TOUS LES ARCEUS, LANCE ! JE T’AI DIT NON ! TU N’INTERVIENS PAS !

▬ Et combien de fois faudra-t-il que je te répète que ça m’est égal ?!

La jeune femme poussa alors un profond soupir exaspéré.

▬ JE NE VEUX PAS QUE TU T’EN MÊLES ! C’EST MES HISTOIRES, PAS LES TIENNES. TU DEVAIS JUSTE M’ENTRAÎNER, RIEN DE PLUS, PAS FOURRER TON NEZ DEDANS !

Bien qu’elle ne pouvait le voir, Lance ne put s’empêcher de hausser un sourcil comme il en avait si souvent l'habitude, et adopta un air à la fois moqueur et indigné.

▬ Oh, oui, bien sûr. J’ai toujours rêvé d’entraîner un macchabée.

▬ LANCE. J’AI DIT NON. C’EST PAS COMPLIQUÉ À COMPRENDRE, NON ?! J’AI PAS BESOIN DE TOI, JE VEUX PAS QUE TU T’EN MÊLES ! JE SUIS ASSEZ GRANDE POUR ME DÉBROUILLER SEULE !

Il y eut alors un bruit de frottement, suivi par un silence de plomb. Lance jeta un œil à son Pokématos sans vraiment comprendre l'origine du bruit.

▬ Bonnie ? Bonnie !

Mais tout ce qu'il pouvait désormais discerner n'étaient que quelques bruits lointains étouffés, comme si son Pokématos ou celui de Bonnie venaient d’être victimes d’un soudain dysfonctionnement. Il contempla le dispositif avec une expression de dégoût et le serra de toutes ses forces, se retenant de ne pas le fracasser contre le mur le plus proche. Il en avait besoin pour qu’elle puisse prendre contact avec lui en cas d'urgence.

Le regard alerte, il mordilla avec rage l'index de sa main gauche afin de calmer son anxiété et sa colère. Que devait-il faire ?

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Immobile au beau milieu d'une des nombreuses allées de la Centrale, Lance réfléchissait à toute vitesse. À cet instant, son cerveau déroulait si vite les différents scénarios possibles qu’il tournait sans aucun doute à un régime plus élevé que n’importe quelle turbine fournissant son énergie au réacteur.

De toute évidence, Bonnie sous-estimait grandement le danger qui la guettait. Elle s’était tout juste rendue compte de son erreur en s’affichant en public durant la conférence de N, et, pour faire bonne mesure, Lance n’avait même pas reçu la garantie qu’elle s’éloigne d’Azuria afin de se mettre à l’abri.

Lui avait connu les rudiments d’une vie de traqué. Il avait appris à se terrer, à ne jamais rester trop longtemps au même endroit, ou encore à se méfier d’un simple regard un peu trop suspicieux… mais elle ? La discrétion lui était un terme étranger ; elle était capable de faire confiance à n’importe qui, et ne possédait que des notions limitées de bon sens. Mais pire encore, en cas d’attaque groupée, elle serait sans nul doute possible dans l’incapacité totale de se défendre ; non seulement ne savait-elle pas se battre, mais par-dessus le marché, ses Pokémon étaient d’un niveau bien trop bas pour la protéger convenablement.

Elle ne possédait pas encore l’instinct de survie d’une bête sauvage prête à défendre chèrement sa peau pour survivre. Non, au lieu de ça, elle semblait presque se comporter comme si elle était en visite touristique dans la région.

Un fin ruisselet de sang s’écoula le long de son doigt, prisonnier de sa morsure. Il devait faire un choix, c’était maintenant ou jamais. Il ferma les yeux avec force, épris d’un sentiment de colère mêlé à celui d’impuissance. Et puis…

▬ Fait c**** !

Furieux contre Bonnie, mais aussi contre lui-même, il asséna un violent coup de poing dans la première chose à sa disposition, à savoir une vieille machine hors service qui émit un « clong » métallique sonore. Puisque c’était vraiment ce qu’elle voulait, il n’agirait pas. Mais sa colère ne s’apaisa pas pour autant, et ses yeux continuaient de lancer des éclairs. Son visage prit alors une expression hargneuse, et il s'exclama :

▬ Puisque c’est comme ça, tu peux tout aussi bien crever, ça m’est égal !

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Haletant, Lance se laissa aller contre un mur proche et s’affaissa lentement jusqu’à se retrouver en position assise. D’une manière ou d’une autre, il devait trouver le moyen d’expulser sa rage afin d’éviter de prendre une décision qu’il risquait de regretter. Le Dresseur était un homme qui aimait avoir les choses sous contrôle, qu’importe ce qu’il entreprenait. Dès lors que cette emprise lui échappait et que les événements ne tournaient pas en sa faveur, la colère commençait à prendre le dessus sur lui.

Cela expliquait notamment pourquoi Bonnie le mettait si souvent hors de lui. Son caractère borné et son comportement imprévisible la rendait totalement incontrôlable. Pour obtenir quelque chose d’elle, il était contraint de déployer toutes les ruses à sa disposition dans son arsenal… ou céder et lui accorder ce qu’elle désirait, telle une enfant capricieuse. Même les menaces ne semblaient pas fonctionner avec elle.

Bien entendu, à une autre époque, il n’aurait jamais toléré un tel outrage à sa personne et se serait sans doute débarrassé d’elle sur-le-champ sans même avoir à y penser à deux fois ; mais c’était justement pour éviter de redevenir un tel monstre qu’il avait accepté de s’abaisser à un niveau aussi lamentable.

L’homme aux cheveux d’argent posa son regard sur sa main ensanglantée, légèrement tremblante. Était-ce cependant véritablement la seule raison pour laquelle il se mettait dans cet état ? Une simple histoire de perte de contrôle ?

Il reposa lentement sa tête contre le mur et ferma les yeux en prenant une longue et profonde inspiration. C’était une question stupide. Évidemment que cela ne pouvait être que pour ça. Pour quelle autre raison pouvait-il bien se préoccuper d’une simple fille aussi affreusement butée et irascible ?

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