Il avait décidé ce soir là de s'en griller une. Alors que la pénombre gagnait du terrain et recouvrait tout à mesure que le soleil déclinait, le rond rougeâtre de la cigarette brillait dans ce décor gris. Lorsqu'il ne portait pas sa clope à la bouche, ses bras restaient au repos, allongés dans le vide et soutenus par ses genoux repliés. Il était ainsi posté sur le bord de route d'un quartier délaissé d'une ville elle-même à l'abandon. Il regardait dans le vide, son regard se posait au hasard sur les façades en ruines. Ici et là, les crépis des bâtisses se fissuraient sous le poids du temps passé. Il n'était là que depuis une journée, mais la monotonie des rues pousièreuses de la banlieue en ruines le lassaient déjà.
"C'est bien, Lyrrah. Tu as réussi à reproduire le mouvement comme je te l'ai indiqué."
Aldini Raporow se penchait sur sa fille, alors âgée de douze ans. A peine avait-elle reçu le compliment paternel que la jeune fille se remis en position, et effectua à nouveau une série de geste dans le vide avant de frapper un mannequin en bois qui était suspendu au plafond. Zsacha était à leur côté, ballot. Il lui avait fallu bien plus de temps pour apprendre ce mouvement. Et voilà que sa jumelle, qui avait commencé l'entrainement bien après lui, marchait dans ses pas à une allure folle. Aucun orgueil ne brillait dans les yeux de Lyrrah, elle considérait simplement qu'elle progressait et en était heureuse. Mais Zsacha ne pouvait s'empêcher de ressentir une frustration en voyant que sa cadette accomplissait bien plus vite que lui le même parcour initiatique.
A présent, la formation de Zsacha et de Lyrrah était achevée. Il avait les mêmes bases. Ils avaient toujours eu les mêmes bases. Avoir eu Lyrrah comme soeur, ça avait été... Comme avoir une ombre, un reflet d'un miroir, mais bien matérielle. Elle s'était, en plus de par sa personnalité, cependant distinguée par la vitesse de son apprentissage. Quant à Zsacha, hé bien... Il n'avait pas eu l'impression de s'être démarqué de sa jumelle, dans aucun domaine. Plus qu'une simple jalousie, il y avait là-dessous véritablement une crise d'identité de soit.
L'image du visage de sa soeur encadré par ses mèches hérissées rouge écarlate et laque.
Il écrasa sa cigarette sur le bitume de la route. L'image de Lyrrah s'estompa de son esprit en même temps que la fumée finissait de se dissiper dans l'air. A l'heure qu'il était, sa famille avait certainement trouvé son petit mot. Il était temps pour lui de partir voler de ses propres ailes. Il avait bien l'intention de développer sa technique personnelle, à l'abri du malsaine que provoquait la présence de Lyrrah.