Enfin. Enfin Ashley était de retour au Bourg-Palette. Cela faisait trop longtemps qu'il n'avait pas revu sa famille et avait hâte de les revoir. Il était très tard, il était possible que Nicolas, le plus jeune de la fratrie, soit déjà couché, il n'avait après tout prévenu personne de son retour imminent. Le dresseur ne pourrait pas lui en vouloir.
Il revenait avec de grandes et bonnes nouvelles concernant son aventure, il espérait être accueilli chaleureusement, mais était très angoissé. Il avait dû manquer tant de choses durant son absence...seraient-ils contents pour lui, ou lui en voudraient-ils d'avoir été absent si longtemps ?
C'était l'esprit embrumé qu'il arpentait les rues de la bourgade ; depuis l'avènement de Red et de Blue, il semblait que l'on ne pouvait plus arrêter l'expansion urbaine et le dynamisme de sa ville natale. Il empruntait des chemins qu'il ne connaissait pas, qu'il ne reconnaissait pas, et se retrouva bien vite devant la maison de son enfance. La rue était différente, il n'avait jamais remarqué que le laboratoire du professeur Chen eût été si proche, mais il n'y avait pas de toute, il reconnaissait sa maison. Il porta machinalement la main à sa ceinture pour y sentir ses Pokéballs et tenter d'y trouver confort et apaisement, et passa le petit portail. Devant la porte il prit une grande inspiration. Il voyait la lumière filtrer à travers les volets fermés du salon. Il toqua.
C'était sa mère qui lui ouvrit. Elle était magnifique. Ses longs cheveux châtains et ondulés glissaient sur ses joues rosées et ses yeux bleus gris, que la génétique avait transmis à son premier fils, pétillaient. Elle lui adressa un grand sourire et il en ressentit toute la douce chaleur. Sans dire un mot, il l'embrassa de ses deux longs et fins bras. Il était plus grand qu'elle maintenant, c'était étrange d'avoir sa tête contre son épaule. Mais qu'il était bon de sentir son parfum de vanille, la délicatesse de ses mains le long de son dos, sa chevelure qui lui chatouillait le cou. Il ferma les yeux.
"-Désolé de ne pas avoir prévenu que je rentrais, je voulais vous faire une surprise. Je ne pensais pas te voir ce soir...
-Pourquoi pas ?" demanda la mère.
"-Ashley, c'est toi ?" dit une voix dans la salon juste à côté.
Le garçon s'y dirigea pour y trouver son père, assis dans le canapé, le regardant étonné, mais visiblement agréablement surpris. Ashley allait engager la discussion, mais la voix de sa mère resté dans l'entrée l'interrompit :
"-J'allais me coucher...bonne nuit.
-Bonne nuit, Maman !
-Qu'est-ce que tu as dit ?" demanda le père.
Ashley fronça les sourcils et se retourna vers son père, qui le regardait avec un regard étrange.
"-Juste bonne nuit."
Le visage du père s'adoucit. Il posa un instant les yeux vers la table basse avant de reprendre :
"-Oui, oui, bonne nuit. Tu as raison, je suppose que tu es fatigué, et on fera mieux de discuter demain matin, avec tout le monde."
Il se leva du canapé et quitta la pièce. Ashley voulu corriger l'incompréhension, mais n'en fit rien : il était effectivement exténué, et ne rêvait que de retrouver son vieux lit, en espérant que celui-ci serait toujours adapté à sa taille...Mais il n'y avait pas de raison pour qu'il ne le soit pas ! Il suivit donc son géniteur à l'étage, qui l'invita à s'installer comme s'il n'avait jamais quitté la maison et à reprendre ses anciennes habitudes. Il resterait aussi longtemps qu'il le souhaiterait. Il monta donc les dix-sept marches le séparant de l'étage supérieur, posa son sac à dos dans sa vieille chambre, et s'étala de tout son long dans les draps. Il avait tellement hâte d'être au lendemain et de revoir tout le monde et de raconter tout ce qu'il avait vécu et d'entendre tout ce qu'ils avaient fait. Mais la fatigue l'emporta rapidement, et il tomba dans les bras de Morphée. Le lendemain matin, lorsqu'il redescendit, il eut la surprise de voir que son père, sa soeur et son frère étaient déjà attablés à prendre leur petit-déjeuner ensemble, sur la grande table. C'était rare chez eux. Il ne manquait que leur mère.
"-Maman n'est pas encore réveillée ?"
Une gêne semblait s'être immédiatement installée, avant que Tessa ne brise le silence avec le sarcasme qui caractérisait parfois une relation de frère et soeur :
"-Ouah, tu sais mettre l'ambiance. Ça fait plaisir de te revoir."
Le froid qui avait été jeté dans la pièce était palpable. Décontenancé, le dresseur se contenta de s'installer à table. Il demanda à ce qu'on lui passe la brioche et garda le silence quelques secondes, avant d'ouvrir le dialogue en tentant de raconter quelques une de ses aventures. Vite, les langues se délièrent et les sourires revinrent, mais cette étrange sensation restait, une sensation de ne pas tout à fait comprendre ce qui se déroulait dans sa globalité. À peine avait-il entamé son petit-déjeuner et commencé à raconter ses péripéties, que son père se leva et proposa qu’ils aillent marcher un peu, dehors, tous les quatre. Le jeune observateur était pris de court et voulut demander s’ils ne feraient pas mieux d’attendre que sa mère se réveille, mais il n’osa pas se faire entendre devant l’engouement de son frère et de sa soeur. Il se contenta d’attraper son long manteau, et d’emmener sa brioche avec lui.
Il faisait bien jour mais il faisait très frais. Dehors, Tessa s’arrêta et les interpella. Elle avait oublié quelque chose à la maison, Ashley n’avait pas bien entendu quoi. Elle fit demi-tour alors que les trois garçons continuaient d’avancer. Au coin de la rue, le cimetière de Bourg-palette -avait-il toujours été si proche ? C’était bizarre. Ils passèrent la grande grille, en silence, sans que le dresseur ne sache vraiment pourquoi. Il se continuait de suivre. Ils marchaient entre les tombes, et le père s’arrêta devant l’une d’elle. Sur la pierre tombale, deux noms. Ashley voyait flou à cet instant, il était impossible de lire de qui il s’agissait. Nicolas, les yeux rivés sur le bouquet qui se flétrissait sur le marbre, déclara enfin :
"-C’est toi qui les as tuées."
Ashley se sentit soudainement prit au piège. Tessa ne les avait toujours pas rattrapé, et il cherchait du secours chez son père, ce qui était bien vain puisqu’il enchaîna :
"-Ta mère ne suffisait pas, il fallait que tu nous abandonnes et qu’elle meure aussi ?."
Le dresseur recula. Il craignait de commencer à comprendre.
"-Non...Non, j’ai pas tué maman, elle dort juste. Il faut qu’on rentre et qu’on la réveille, vous verrez…
-Arrête. Bien sûr qu’elle est morte. Elle est morte à cause de toi. Tu l’as laissée mourir."
Ashley n’en revenait pas. Que se passait-il ? Il avait vu sa mère la veille. Pourquoi serait-elle morte ? Pourquoi serait-ce sa faute ?
"-Tu sais très bien que sa maladie la rendait fragile. Pourquoi n’en as-tu pas fait plus à la maison pour l’aider ? C’était toi l'aîné, tout le monde comptait sur toi."
C’était vrai. Il était l’aîné. Il s’était toujours senti responsable. Il avait la tâche d’alléger le quotidien de sa mère souffrante aussi souvent que possible. N’en avait-il pas fait assez ? Il s’était aussi toujours senti investi d’une mission à la maison, envers elle et envers les deux plus jeunes de la fratrie. Nicolas continua à l’accabler :
"-Tessa et moi, on comptait sur toi. Tu es parti et tu nous as abandonné. Au moment où on avait le plus besoin de toi. C’est pas étonnant qu’après ton départ ça se soit passé comme ça. Tu l’as tuée, que tu le veuilles ou non."
Les larmes commençaient à monter aux yeux du dresseur. Il voulait s’enfuir mais n’en trouvait pas la force. Ils étaient là, trois hommes entre eux, face à cette stèle sous laquelle reposait deux femmes -il le savait sans le comprendre-, dans ce procès macabre sans possibilité de s’enfuir. Il commença à balbutier :
"-Mais on était d’accord...Ça allait mieux et je pouvais partir…
-C’est ça que tu appelles aller mieux ?!"
Son père était enragé ; il le poussa avec force sur la tombe, qui était ouverte. Il tomba alors dans un cercueil, il ne le distinguait pas clairement mais un cadavre l’occupait déjà. D’en haut, il vit les garçons déposer le couvercle. Ashley voulait lutter, il cognait de toutes ses forces, mais il n’y avait rien à faire. Le cercueil ne s’ouvrait pas. Il entendait la terre être lancée au-dessus de lui et le recouvrir. Il n’arrivait pas à pousser suffisamment fort, et de plus en plus de terre s’accumulait sur le couvercle, rendant la tâche de plus en plus difficile. Il cognait, il criait, il grattait. Il entendait les injures que son frère et son père lui lançaient alors qu’ils le condamnait à passer l’éternité sous terre. Avec sa mère et sa soeur.